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Récif :

Du portugais arracefe, arrecife puis recife.

Evénement ou groupe d'événements affleurant à la surface de l'eau au voisinage des amas libraires. Synonyme : r-ecueil. Récif orallien ; dévorer un récif ; faire naufrage, s'échouer sur un récif tragique ; récif à l'eau de rose. Les r-ecueils de po-aimes, surtout ceux d'âmour, peuvent être très dangereux pour les navigateurs dits trop "cartes-aisiens".
 

Géolittérature. Masse construite par des mots dans les encres chaudes et claires ;  ce sont les récifs oralliens situés soit en bord d'amas (murmures et tendres mots dits à l'oreille, secrets, prières et méditations...), soit plus au large (contes, oracles, odes, harangues...), et pouvant encercler une âme dont la lente subversion peut conduire à la formation d'un atoll (rêves, réflexions et sensations récifals entourant un lagon).

Sommaire :
Grelette (poésie)
L'étrangère (poésie)
Les mains du musicien (poésie)
Désert (conte)

Poème sans titre
Livre d'illustration jeunesse :

Grelette - poème

    

     L'Île

     Au devant, le soleil blême, irrigué par les chants d'enfants qui jouent sur l'étang. Qui sèment leur imaginaire, ébrouent l'eau qui les unit.

     Sur la rive, Grelette sent la main de sa soeur dans la sienne, semblant aimantée. Lovée l'une près de l'autre.

     Perchée sur un tronc séché, Grelette observe et tente de comprendre les rames qui s'élancent, les bruits des histoires, et le vide dans sa main gauche ; elle était saisie de stupeur. Elle tripotait le contour duveteux de son oreille qui écoutait.

     Sa soeur mystérieusement avait franchie l'étendue, et elle, grelottante, privée d'un passeur. Souffle contre souffle. L'île était changée par les rires du vent, le vent par vagues galopant, qui emportait la petite voix. Elle voyageait sur les battements d'aile en aile du héron, qui forment des débris d'écho.

     Cassées, les syllabes épuisaient un grêle espoir, lorsque subite, Maman glissa la main de la petite voix sur le bord en bois de la barque. Grelette pensait ferme à la tendresse de la futaie, sur l'autre sable, en face, d'étoffe fraîche.... Elle voulu clamer vers le large mouvement bleuté ; enfin elle s'éloignerait de la berge et ne resterait plus seule sauvage sur le quai !

     Ah ! Le miroir parut glauque, les ondes brûlées étaient parées des yeux des enfants de l'île, glissant comme des araignées d'eau, ils devaient épier sa peur, pour la plier sous leurs dents et la dévorer. Dans la barque, l'homme attendait, c'était une froide surprise que le passeur paraissait pour le père des lamproies, toutes dents blanchies. Il serrait, serrait sur la petite voix. Sa tête rouge souriait, et c'était ce sourire qui appuyait pour étrangler. Grelette frémissait, reculant elle croisa une odeur enveloppante et pourtant crainte, Maman.

     Les jambes coupées repoussèrent d'un coup et bondirent à l'accroche du quai. A chaque pas achevé, elle glissait comme sur un enduit, mais l'éclat montait ainsi qu'une sève neuve et l'herbe se fit sentit mouvante et douce : les fils de joncs l'accueillirent. Grelette rampait ses doigts sur la terre, sans fin.

*

A travers l'Eclipse

     Sous l'ombre verte vient la lumière d'or, assoupie elle tire les cordes. Une, fait-elle. A l'eau ! ...une, deux, et le rivière, la rive... une, deux, trois... qui tombe à l'eau.

     Sa langue vibrante a chancelé, le chant décline, elle murmure le vent qui siffle, l'apprêt des mots qui filent en se balançant. La concordance du cycle de signes lui a échappé, idiote elle se repais du reste des sons.

     Reste, près de moi reste, l'étoile du ciel à croquer en haut. Elle s'amenuise puis reparaît dans les stries noires des longs rameaux chargés d'été. C'est l'orteil nu qui l'atteint le premier, comme on goûte l'eau glissante délicieusement glaciale. Le ciel est le royaume inversé des mers qu'on attend. Les bras immenses qui peuvent vous tenir avec vigueur, sans que la peur vous coure sur les tempes.

     Mais tout cela n'est plus, dès qu'il fallait sauter sur la terre dure, c'est l'aigreur qui rugit. Griffe et voix rauque. Elle sent sa gorge qui racle les mots ravalés, et à chaque question, enfoncés trop profonds, leur sons ont pris les couleurs du charbon ardent.

*

Envolée, en grimpant parmi les racines

     L'enfant rêve, de trois arbustes enchâssés dans la toiture de sa maison, à l'ombre de la lune éternelle, toute sage, frêle comme les contours en verre d'un oeil absent.

     Un rêve soufflé qui parle, qui sème sa tendresse, peut-il atteindre l'autre regard, troqué contre une plus grande clairvoyance, et pourtant dispersé à même le sol, à nu ?

     La langue lâpe chacune des âpres lames éparpillées, des couleurs égrainées de cette pupille fermée à toute lumière. Limpide est la chanson, et les regards échappés, et l'onde qui circule autour de l'île brunie. Articulées en sons, les iris de l'étang prennent une à une forme de perles pour un collier de grelots, porté fièrement.

     Et seulement, parle, parle encore l'enfant.

Adèle P.

L'étrangère - poème

 

     Guidée, par l'épaisseur des ombres, le rose translucide du ciel glissant derrière les branches noires, j'ai quitté les rumeurs mystiques et tremblantes des bougies et des lampadaires. Les habitants étaient vifs et calmes, au matin de la nuit. C'est la pleine lune. Dans les pâles rayons continuent de résonner les tambours. Mais, toi ma soeur discrète, tu me parles d'autres choses. Les temps se superposent et s'écrient : "vous êtes si près, si près de moi !".

     Je retire mes chaussures, et marche auprès des grandes pagodes lunaires. Mais mon coeur, ce qui m'attire est un autre reflet de lumière, qui s'épanouit dans l'eau en rayures. Pieds nus, nus, toute nue sous l'apparition de mon monde ! Mes nuits et mes saisons ! Et le rire joyeux qui tombe en se dépliant. Je ris comme on danse seule sur le plancher de sa maison.

     Une semelle dans chaque main, c'est fini, et je regarde au loin, s'enfuyant en courant, les enfants qui ont vu un fantôme. Serais-je devenue un esprit de la lune, perdue entre un souvenir et mes pas sur la terre bleue des marécages...?

     D'un oeil rond, une petite fille traîne, plus hardie, à observer sa vision. Son ombre grise s'arrête sur les grandes dalles blanchâtres. Mais elle oscille et virevolte, d'un élan flûté passe le portail du temple.

     Les pieds dénoués, je rentre, et les ombres sont devenues bien trop épaisses. Seulement je sais moi, que vous étiez si près, si près.

Adèle P.

Les mains du musicien - poème

 

     Je te vois déjà, les doigts emmêlés mais qui jamais ne trébuchent. Sous mes pas passe la lumière, enveloppés de matin blanc. Dessinant tes notes avec mes ombres bruissantes, mes orteils patinent sur le plancher en bois, qui se déploie jusqu'à l'enchantement de tes doigts avisés.

Comme des herbes de cuivre sauvage, les cordes s'enroulent autour de ta chaise, au gré de ta respiration. De leur spirale sortent des éclats grêles et de tendres tambours. Autour de toi s'apaisent les fantômes de la maison. Ils ont quitté ma pièce, me laissant les yeux clairs pour t'écouter à travers la fuite de la porte.

     Distinctement les ondes, accompagnées de tes pas, filent l'air. Dans l'interstice de bois résonne chaque mouvement et leur reflet brun, comme une aurore qui monte et descend, s'empourpre sans prévenir et s'exclame dans le ciel. Mais tes mots il n'y en a pas, à quoi pensent tes doigts… Sûres d'elles, tes mains s'agitent, soulevant la poussière devant les fenêtres, grappillent des sons fluets -un glissement subit !, les ongles frôlent une voix mélodieuse, les sons se délitent, les doigts fléchissent, déliés suavement entre les cordes. Tes mains. Des mains qui hésitent et sourient quand elles en cherchent une autre. Élancées elles savent quand elles veulent danser dans les airs. Déjà, je les vois posées là juste où il faut et courant ailleurs l'instant d'après. Tout contre la porte je me suis arrêtée. Les mains sur l'embrasure toute réchauffée de soleil, les yeux rivés dans la guitare.

     Dans la guitare, un tremblement de terre et quelques étoiles.

Adèle P.

Désert - conte

     Il existe toutes sortes de paysages.

     Il existe toutes sortes de visages. Des visages qui ressemblent à des paysages aussi. Avec des montagnes-joues et des forêts touffues sur la tête. Des rivières alimentées par des lacs bleu alpin, vert d'étang ou brun marécage. Des plaines arides à peine recouvertes d'une fine herbe dorée…

Et il existe les paysages qui ressemblent à des visages. Il en est un dont les yeux se taisent, la bouche ne cligne pas. Sa peau est si fine qu'elle s'envole au moindre coup de vent. Et le vent l'a tant balayée qu'elle est devenue aussi sèche que le souffle du soleil.

     Il existe des visages qui ressemblent à des paysages qui ne parlent pas et des paysages qui ressemblent à des visages qui ne parlent pas.

     Il existe un dromadaire dont le visage ressemble à un paysage qui ne parle pas. Et il existe un désert dont le paysage ressemble à un visage qui ne parle pas. L'un et l'autre sont toujours silencieux. Ils vivent en silence. Mais cela ne les dérange pas. Ils vivent très bien comme cela. Car ils se connaissent très bien.

     Ce que le dromadaire aime par dessus tout, ce sont les petites branches d’acacias qui n'ont pas encore totalement été brûlées par le soleil. C'est qu'elles ont un goût délicieux, et peut-être aussi parce que ce sont les plus dures à trouver.

 

     Il existe un endroit où la terre brune s'est craquelée comme le fait le temps sur une vieille peau. Tout est très plat ; mais sous les sabots on sent les commissures chaudes et poussiéreuses à chaque pas. Tout autour s'élèvent les roches rouges et qui se découpent nettement sur le bleu du cosmos. Et, au milieu de cette vaste plaine, s'élève une forêt étrange. Ils sont regroupés là, au hasard. Mais si curieusement éloignés les uns des autres, qu'ils se sentent totalement seuls. Ce sont les arbres morts. Calcinés par le soleil, maigris par le vent. Ils sont restés là, debout, noircis comme du charbon. Le dromadaire passe au milieu de ce sanctuaire. Il les observe comme des statues dont chacune a sa façon de se tenir, de tordre ses branches vers un espace particulier qu'elles cherchent à atteindre.

 

     Il existe aussi un autre endroit où le sable glisse comme de l'eau quand on marche dessus et qui s'affaisse dans un creux léger. Ici se trouvent des arbres encore vivants, et une grande flaque d'eau qui vit comme un mirage, comme un miracle. Les animaux viennent s'y miroiter avec prudence. Ils sortent de nulle part, et s'approchent dans un silence tranquille. Dans ce moment, le temps est lent et sûr de lui.

     Le dromadaire apparaît. Il boit une quantité d'eau insoutenable en quelques instants. Et il repart aussi subrepticement qu'il était venu. Mais quelque chose le retient. C'est le murmure d'un arbre. Il comprend vite que c'est à lui qu'il parle. Alors il vient auprès de lui et il écoute.

     « Je connais quelque chose que peu connaissent ici, dit-il. C'est un paysage extraordinaire, qui ne ressemble à rien d'ici. Les dunes sont vivantes et d'une couleur sombre. Elles s'agitent violemment sous l'effet du vent et il en émerge une mousse blanche. Cela s'appelle la mer. Là-bas, on ne peut mourir de soif, et tout résonne d'un grondement perpétuel. C'est très beau… Si tu pouvais aller la voir, et si tu revenais, tu me raconterais, car moi je ne peux pas bouger. »

Le dromadaire est fasciné. Il ne promet rien. Il repart, mais n'oublie pas ce que l'arbre a dit. Et puis, jour et nuit, en marchant et en dormant, il se met à y penser, et il se prend finalement à rêver de voir la mer…

     Alors, il parcourt des kilomètres en quête de cette nouvelle étendue. Mais à perte de vue, il ne rencontre que le désert. Le désert qu'il finit par avoir en horreur, le désert qui peu à peu assèche ses poils, ses os et son cœur. Ses yeux finissent par s'en détourner, ce qu'il voit, c'est ce dont parlait l'arbre : le grognement sombre de la mer.

Et puis un soir, enfin, il entend les plus petits grains de sable, les rochers, les scarabées, les roses des sables et même les étoiles naissances...tout, tous murmurent qu'il est arrivé aux abords de la mer… Alors le dromadaire se met à courir ! Ses longues pattes se détendent et font voler le sable autour de lui ! Il court de plus en plus vite, mais plus il court, plus il s'aperçoit que ce qui se rapproche de lui ne ressemble en rien à ce dont l'arbre parlait. Non, ce n'est pas sombre du tout, c'est d'une blancheur lumineuse. Et où sont les dunes ? Jusqu'à l'horizon, c'est une immensité plate, totalement plate. Le dromadaire s'arrête là où, à ses sabots, commence ce qu'on appelle une mer de sel. C'est vertigineux. Tout est silencieux, comme à l'accoutumée. Il suffirait de s'y avancer pour se perdre. Se plonger dans l'infinie blancheur du silence… Mais c'est beau, pense le dromadaire, c'est le désert. Il se laisse glisser au sol et avance la pointe de sa langue. Le goût du sel emplit sa bouche, cela pique, brûle, c'est sec et chaud.

*

      « Si c'est cela, le goût du désert, je ne veux pas te perdre, dit le dromadaire.

- Cela ne peut arriver, car c'est toi qui me tient dans le pli de tes yeux, dit le désert. »

*

     La bosse du dromadaire frémit. Et puis elle se redresse, s'immobilise un moment, enfin se met en marche. Et elle s'éloigne au milieu du sable, se balançant entre les dunes, dune parmi les dunes.

Adèle P.

Poème sans titre

 

     Un jour tu m'as plongé, dans des mystérieuses et profondes ténèbres. Remplies de buissons effarés, de souffles tièdes. Le ciel y descend comme dans un puits, la verdure s'élève haut, et fuit en laissant tomber sa sève en fines gouttes dorées. Les feuilles rondes y palpitent dans des arbres charnus, prennent soin de changer la lumière sinueuse en projections intermittentes. Lentement, auprès de toi j'ai appris, à reconnaître la douceur d'un rayon de chaleur qui s'attaquait à ma peau à travers la froideur des arbres, comme le soleil à travers une loupe. Je ne savais point quelle matière créait un baiser, entouré des murmures des mains lisses et des doigts qui se croisent, avant que, sans attendre, tes bras me prennent et que moi, seulement, j'aperçoive au fond de l'inconnu, du mystère obscure, ton visage brillant comme une étoile. Mon ami, je t'ai doucement désiré sous les sombres entrelacs, comme on caresse l'eau fuyante d'un ruisseau transparent, émerveillée de la vivacité étincelante, tremblante d'une tendresse qui me dépassait.

     Sous tes cheveux plissés, comme une enveloppe odorante, s'est glissé ce sentiment qui alourdit le coeur et densifie les rires. Guidée seule par ce sentiment aveugle, là où les pupilles moites, déboussolées tour à tour par les rayons subis de l'humus noir, grésillent, seul cet amour luit et voit. Toute entière, ma volonté se love dans cette lueur lunaire, comme si le bleu de la nuit brillait en plein jour. Surprenante volonté, si elle ne peut rien ni ne peut voir, peut-elle au moins comprendre, et faute de clairvoyance, ressentir simplement...?

     Je reste suspendue, dans l'attente que la nausée s'aplatisse. La forêt veille en silence. Jamais silence ne se fait mieux entendre qu'au fond d'un puits. On m'a vouée à tout avaler. La forêt s'éloigne et s'engloutit. Les arbres sont mes abysses, c'est un étrange et obscure méandre, des profondeurs qui s'oublient. Intermittence encore, ou sourd la joie ou jaillit la peine, douleur aigue, entre laquelle mon ventre se tord tant il chemine entre les troncs et les branches noueuses. Il veut vomir le ciel qui s'ouvre pour sentir toujours les odeurs vaporeuses et enivrantes. Mais les plis de l'écorce s'accrochent en ronde, et sous mes yeux, c'est toute la forêt qui fond toujours plus bas. Au creux de cette vallée s'est perdue cette partie donnée, sève d'amour et de foi, de laquelle s'évade une légère brume hâlée, bleue de fougère.

     Il est une forêt, qui veille en silence, lointaine, et toujours là sommeille, la terre dense et ferme, somnambule éthérée.

Adèle P.

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